REPORTAGE. "On est un peu les gardiens des Finances publiques" : comment les "flics du fisc" traquent la délinquance en col blanc

Franceinfo vous emmène à la rencontre des agents de de l'Office national anti-fraudes. Ils traquent ceux qui essaient d'échapper à l'impôt et élaborent notamment des escroqueries à la TVA ou sur les aides de l'Etat.
Ils sont considérés comme les "flics du fisc". Vous les avez peut-être vu dans la série de Canal+ D'Argent et de Sang qui raconte l'enquête sur une extraordinaire fraude à la taxe carbone, qui a coûté 1,6 milliard d'euros à l'État français. Dans la vraie vie, les protagonistes existent bien : ils sont les agents de l'Office national anti-fraude (Onaf).
Les locaux de ces 300 enquêteurs, issus des douanes et de l'administration fiscale, et répartis sur dix unités territoriales, sont notamment situés à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), juste à côté de Paris.
D'habitude très discrets, ils ont accepté de parler à franceinfo. Nous rencontrons d'abord ceux de l'unité des officiers fiscaux judiciaires (OFJ). Ils sont 45. Parmi eux, Georges qui a accepté de témoigner, en restant anonyme.
"Cette délinquance en col blanc a besoin de faire appel à des milieux externes pour blanchir le produit de la fraude, explique-t-il. Les milieux du blanchiment, c'est tout sauf des enfants de chœur. Quand l'organisation est bien installée, qu'on a des avoirs, on a des yachts, on a des véhicules de luxe, on a des résidences somptueuses et que tout ça, c'est grâce à l'argent de la fraude."
"Quand on arrive et qu'on s'attaque à ces avoirs, il y a des réactions qui peuvent être agressives, voire même, ils peuvent essayer de s'en prendre à nous, à nos missions, aux tâches qu'on a accomplies."
Georges, agent de l'OFJà franceinfo
Dans ce service de l'OFJ, les affaires de fraudes les plus élaborées sont traitées avec 970 000 euros de préjudice aux Finances publiques en moyenne par affaire. Les enquêteurs ont la particularité de tous être issus du fisc. Il s'agit d'anciens inspecteurs ou contrôleurs des impôts. "Quand je faisais du contrôle fiscal, je me suis dit, tiens, il y a un pan que je n'ai pas le temps d'explorer. Par exemple, la sous-traitance un peu occulte, avec des anomalies, des clignotants. Il y a quelque chose d'autre, mais je n'ai pas le temps de gratter, raconte Georges.
En passant de l'enquête administrative à la phase judiciaire, l'agent estime qu'"il y a trop de facilité pour les fraudeurs, et donc si je peux leur compliquer la vie et saisir les avoirs criminels, et c'est ma raison d'être ici, c'est une finalité."
L'Onaf a saisi ou proposé de saisir 600 millions d'euros d'avoir criminels en 2024. Georges est animé par un désir de justice : "Je suis là pour qu'un jour, on dise : 'Oui, c'est fiscal, c'est grave. Et donc, ça mérite une sanction pénale.' Aujourd'hui, on voit la pression fiscale sur les contribuables en France. Il faut que certains puissent se dire qu'ils ont raison de payer ce qu'ils doivent parce qu'il y en a d'autres qui ne le font pas et ils sont sanctionnés."
Attention à ne pas confondre la télé avec la réalité prévient André, collègue de Georges : "L'enquête judiciaire, ce n'est pas 45 minutes, comme un épisode de série télé. C'est plutôt quatre ans et demi."
Il y a certes les opérations spectaculaires comme cette perquisition avec 70 agents du Raid chez un suspect de fraude fiscale mais il y a surtout beaucoup pour ces enquêteurs beaucoup de travail de fourmi. "Ce qu'on appelle le 'forensic', c'est-à-dire le recueil des données numériques, est au cœur de nos enquêtes, résume le chef de l'unité des OFJ, Gérard Ton-That. Il faut être patient et méthodique, on est saisi par des magistrats pour aller rechercher des infractions qui sont ciblées et énumérées. C'est essentiellement le fait d'avoir des comptes à l'étranger non déclarés, d'avoir interposé de façon artificielle des sociétés à l'étranger, en particulier, d'utiliser des faux, de faire du faux et de l'usage de faux, faire de la fausse domiciliation. On est un peu les gardiens des Finances publiques."
L'autre branche de l'Onaf, ce sont les officiers douaniers judiciaires (ODJ) - à leur tête à Paris, Christelle Sabiron - chez elle aussi, les enjeux se chiffrent en millions d'euros. "La plupart de nos dossiers, ce sont des dossiers de blanchiment d'argent ou de présomption de blanchiment d'argent, détaille la directrice. La deuxième catégorie, ce sont toutes les fraudes aux intérêts financiers de l'État ou de l'Union européenne. La troisième catégorie, je dirais que ce sont toutes les infractions douanières : le trafic de tabac, ou les contrefaçons par exemple."
Les affaires sont parfois emblématiques comme celle de l'escroquerie au carbone. D'autres affaires reprennent un même schéma d'escroquerie. "On a rendu une enquête, il n'y a pas très longtemps, où l'objectif était, pour une société, de se faire facturer de la TVA par ses fournisseurs qui vendaient des produits à un prix moindre et qui pouvaient ainsi bénéficier d'un crédit de TVA. C'est-à-dire que c'est l'État, en fait, qui leur reverse de l'argent. On était à quasiment deux millions", raconte Christelle Sabiron. Généralement, les fraudes concernent des escroqueries à la TVA sur des véhicules ou sur le malus écologique. Il y a aussi plusieurs dossiers qui concernent des oligarques russes qui ont fait l'objet de mises sous sanction à la suite du conflit en Ukraine.
Ces organisations criminelles, Christelle Sabiron les a vues se spécialiser, se professionnaliser et se structurer. "On a des réseaux qui sont souvent très bien structurés, c'est-à-dire que chacun a une tâche bien précise à faire, et qui connaissent quand même pour partie nos techniques d'enquête et qui sont très vigilants sur leur manière de travailler, explique-t-elle. Typiquement, ils ne vont utiliser que des comptes WhatsApp ou Signal pour échanger et très rarement, ils vont échanger par téléphone classiquement."
Le patron du Parquet national financier, à l'origine de la majorité des saisines de l'Onaf, salue des enquêteurs "excellents sur leur matière. Pour nous, c'est vraiment devenu une ressource clé". Et sur la question des moyens, Jean-François Bohnert assure que "le ministère de l'Intérieur a remis un peu le paquet mais à l'évidence, pour aller de l'avant et surtout rapidement de l'avant, il nous faudrait plus de monde en service d'enquête". En tout, l'Onaf a plus de 929 affaires en cours pour aujourd'hui 312 enquêteurs. Le nombre d'officiers fiscaux judiciaires doit passer à 80 à terme.
Francetvinfo